18 janvier 2414 ~ Le 14e oracle

La neige se dressait en remparts immaculés sur les branches nues des bouleaux qui bordaient l’allée et scintillait sur le noir du bois, comme la livrée d’hiver d’une perdrix des neiges. Elle tombait en paquets de flocons sans cohésion qui ajoutaient une nouvelle couche brillante aux pans inclinés qui s’entassaient le long du Taarn.

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Pour tenter de prêter vie à la période de la Petite extinction, je propose d’examiner les 13 premiers oracles, ou plus exactement certains objets représentés ou évoqués dans ceux-ci.

Cette méthode exige que nous renoncions provisoirement à quelques habitudes que nous avons acquises lors de l’observation d’images et de textes. La première consiste à les considérer comme des fenêtres qui ouvrent directement sur un autre temps, un autre lieu. Penser que les images et les textes des 13 oracles expriment directement la vie du Pont-de-Montvert entre le XXe au XXIIIe siècle est une illusion séduisante.

Les oracles ont été élaborés, soigneusement et délibérément, moins pour montrer une réalité objective que pour présenter un scénario précis. Cette habitude affecte le regard que nous posons sur les contenus. Quand nous considérons les oracles comme des fenêtres, nous traitons les objets et les textes comme des détails bidimensionnels qui nous montrent soit que le passé fût différent du présent, soit qu’il lui soit identique.

Nous voyons dans l’oracle 7 un «combiné téléphonique» datant approximativement de la deuxième moitié du XXe siècle, et nous nous disons: voilà à quoi ressemble un «combiné téléphonique» de la deuxième moitié du XXe siècle; n’est-il pas remarquablement proche/différent (au choix) de nos modes de communication actuels? Nous ne nous demandons pas que fait ce «combiné téléphonique» sur cet oracle? Qui l’a fabriqué? D’où vient-il? Pourquoi la/les promotrices ont-elles choisi de le faire figurer sur cet oracle de préférence à un autre objet, une coupe de fruits par exemple ou une lampe à huile? Et pourquoi cet iconographie est mise en rapport avec la «recherche d’une source vive»?*

Or c’est précisément le genre de questions que j’aimerais que nous sous posions quand nous observons les 13 oracles.

Cela ne nous interdit pas d’apprécier les plaisirs les plus superficiels qu’ils nous offrent, mais je voudrais que nous dépassions la surface des choses pour considérer les objets comme des signes du temps et du lieu où ces oracles ont été réalisés. Ces signes s’y sont glissés au moment où ils ont été fabriqués. Notre tâche consiste à les extraire afin que non content de raconter sa propre histoire, l’oracle puisse, de surcroît, raconter la nôtre.

La philosophe Marcelle GrandGel, affirmait que «les artefacts oraculaires sont des énigmes que nous nous sentons tenus de résoudre pour apaiser notre incertitude quant à la raison précise de notre présence ici, ainsi que la perplexité que nous inspire le monde qui a précédé celui dans lequel nous vivons»**.

Notre mission est de passer au crible ces 13 premiers oracles et ceux que nous espérons encore découvrir. Si nous n’envisageons pas les objets qu’ils évoquent et contiennent comme des accessoires disposés derrière des fenêtres, mais comme des portes à ouvrir, ils nous feront pénétrer dans des couloirs menant à des découvertes sur le monde de la Petite extinction, que les oracles ne révèlent pas en eux-mêmes, et dont les promotrices, elles-mêmes, n’étaient probablement pas conscientes.

Derrières ces portes se déroulent des passages inattendus et des chemins dérobés qui relient notre passé déroutant – à un degré que nous n’aurions pas soupçonné et par des biais qui nous surprendront – à un présent qui est loin d’être simple. Et s’il est un thème qui se glisse à travers le passé complexe du Pont-de-Montvert et que dévoilera chacun des textes et images que nous examinerons dans ces oracles, c’est que Le Pont-de-Montvert n’était pas isolé. Il existait à l’intérieur d’un monde qui se prolongeait vers l’extérieur et couvrait la planète entière.

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La neige adoucissait les arêtes des traces des chariots, effaçait les marques de pas des jeunes filles et réduisait les ornières des sentiers à de pures suggestions. Une nouvelle voiture arriva. Soledad en descendit avec précipitation, vêtue d’un manteau rouge. Elle avait les épaules saupoudrées de blanc. Elle me tendit une feuille de papier de soie recouvert d’un frottage brunâtre.

– «C’est le 14e !» me dit-elle…

Prudence LouiPop
Archéologue/Paysanne
Doctorante ULPM
Responsable du chantier Vieille Ville


* cf. sentence de l’oracle 7 in 13/113 ORACLES – Le tarot de Pont-de-Montvert – Fac-similés et conjectures, ULPM, Pont-de-Montvert, décembre 2413

** In Le Fil de Pénélope, tome III, M. GrandGel, ULPM, Pont-de-Montvert, octobre 2342


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